LE KARMA


 

Selon la tradition indienne (voir Bhagavad Ghita) il y a 3 stades du karma : sanchita, prarabdha et agami, en fait 3 noms pour les trois aspects du karma (tri-karma) tels qu'ils se manifestent dans la dimension temporelle.

Le mot karma, dont la signification première est "action", peut être utilisé de plusieurs manières.

En Ayurveda, la médecine traditionnelle de l'Inde, panchakarma signifie 5 actions, ou fonctions, mais quand on parle du "karma" en général cela se rapporte aux lois des causes et des effets qui régissent le développement de tout objet ou créature en fonction du temps et de l'espace. Il est envisageable, philosophiquement, que cette loi de causalité, d'enchainement successif de causes et d'effets ne se produise pas uniquement dans le mode temporel, et parfois même dans un ordre inversé, mais le concept du tri-karma s'applique bien dans la dimension dans laquelle nous vivons.

Dans nos sociétés occidentales, le mot sanskrit karma est devenu synonyme de destin, fatalité, etc... et associé en fait aux mémoires du passé, quelles que soient leurs origines, mais c'est en fait une réduction un peu simpliste.

 

En fait comment fonctionne ce concept de tri-karma en Inde, cette action des samskaras (productions) qui nourrit et anime le samsara (la ronde des cycles), loi des causes et des effets, loi des actions et réactions concordantes?

Le karma dans la Bhagavad Ghita

Lorsqu'Arjuna, le "bienheureux", combattant du clan des Pandavas, mène la guerre contre ses cousins les Kauravas, il fait face à de nombreux doutes, et recherche l'action juste dans un contexte très contradictoire et difficile. Krishna le guide et le conseille, et lui explique notamment comment l'action juste peut être réalisée si l'on est en adéquation avec son dharma (on pourrait dire sa trajectoire d'équilibre, sa légende personnelle). Mais pour bien agir "juste" il est important de bien comprendre la loi des actions et réactions concordantes ou loi des causes et des effets. En effet, qui agit? Et à quel niveau agir? Est-ce que l'action est action ou ré-action? Dans quelle mesure les événements extérieurs sont liés à notre karma?

Le mot "karman" ou "karma" ne désigne pas la fatalité d'un destin tout tracé, ni l'héritage génétique, culturel, etc... Le mot karma représente l'action en ce qu'elle est mouvement causal et concerne tous les objets du "monde", qu'il s'agisse de particules élémentaires, ou de groupements de plus en plus vastes, de plus en plus denses, jusqu'à constituer des êtres humains.

L'organisation du temps et de l'espace suit un "déroulement" qui répond à une causalité d'expansion ou de contraction. Tout dépend de l'endroit et de la manière dont on observe un phénomène. Un cheval de bois qui tourne sur un manège peut être vu comme décrivant un cercle, si on le voit avec ses deux yeux, mais aussi comme décrivant un segment, de gauche à droite, si on le regarde avec seulement un oeil.

L'homme (jivatman) est un amas d'énergies (particules et ondes) sous-tendu par des fonctions de manifestations communes (gunas), et participe donc à son niveau à cette loi de manifestation causale.

C'est donc sous l'angle de la relation de l'homme à la loi des causes et effets que Krishna va s'adresser à Arjuna et lui expliquer les trois "karmas".

En fait, il n'y a pas à proprement parler trois karmas distincts, mais trois états du karma. Ces trois états sont appelés  le tri-karma :

  • sanchita karma

  • prarabdha karma

  • agami karma

Les rapports de causalité entre ces trois aspects du karma sont adaptés à notre dimension temporelle, et vont donc se différencier en fonction du triple temps. Hors de la manifestation spatio-temporelle, le triple principe demeure, mais dans un ordre exclusivement causal.

On suppose dans cette approche humanisée du concept de karma que l'observateur (l'individu) est le moteur du phénomène karmique, et on va donc l'illustrer en fonction de l'écoulement temporel de sa vie. Après-tout, Krishna ne s'adresse-t-il pas à un être humain?

  • Le sanchita karma représente toute la somme des mémoires programmées pour se manifester, toutes les conséquences à échoir, mais dans un temps futur, pas à l'instant présent.

  • Le prarabdha karma, c'est la fonction de manifestation, maintenant, c'est l'échéance, un petit morceau de karma échoit et cette nouvelle fonction s'appelle prarabdha.

  • C'est lors de l'échéance (du prarabdha karma) que l'être a le "choix" dans son action : action pure, en pleine conscience, non conditionnée par des programmations passées, ou tomber dans le piège de la "ré-action" conditionnée, dictée par des principes, préjugés, peurs, programmes, etc... (agami)

L'action pure - consciente, non polluée, libre - est juste, et ne produit pas de karma individuel. C'est l'essence du dharma. Par contre l'action réactionnelle, non-consciente, émotionnelle, projective, ravive une mémoire et la renforce.

Cette reconduction des mémoires pour une prochaine fois prend alors le nom d'agamikarma. On recrée, on refabrique des conséquences liées à notre individu. En alimentant ainsi ce que l'on peut appeler "la pompe à karma", on ne risque pas de quitter le cycle des "renaissances", le samsara, ni d'atteindre la délivrance, moksha.

Le fait de ne plus reconduire le prarabdhakarma par des comportement inadéquats et donc de ne plus créer d'agami karma engendre l'établissement de l'état anamami (a = privatif => sans agami karma).

L'homme entre espace, temps et causalité

Dans l'Inde des Védas et du Védanta, le passage de l'être dans notre dimension spatio-temporelle implique une réduction liée aux conditions propres à cette dimension.

Il y a continuité causale, mais pas continuité dimensionnelle, et le lien entre un état et celui qui le précède n'est donc pas en relation avec le temps, mais bien avec la causalité dans son absoluïté. L'information qui se révèle ne peut être décrite selon un processus évolutif emprunté à nos paradigmes, mais poursuit un cursus d'un autre ordre, dont le concept nous échappe totalement.

La fonction causale, dans le monde humain, est donc intrinsèquement temporelle, et seule la part intemporelle de l'esprit peut relever d'une causalité intemporelle.

L'homme est donc un produit du temps et de l'espace, et le cycle du samsara vu du point de vue  humain, s'écoule du passé vers le futur.

En résumé :

  • Vu d'un point de vue individuel, le sanchita karma est  l'action qui a été faite dans le passé et dont la conséquence n'est pas encore née, c'est une action en mémoire, potentielle, en attente de manifestation,

  • Le prarabdha karma est le nom du karma lorsqu'il advient dans l'instant présent. La mémoire de l'action se manifeste, c'est la conséquence de la cause,

  • et l'agami karma est le nom du karma quand notre réaction a ré-énergisé la mémoire karmique, pour la faire perdurer, c'est à dire, relancé la "pompe à karma". Vu de l'instant présent notre karma s'appelle alors agami, mais tout de suite après va reprendre son nom de sanchita, et on ne connaît pas sa prochaine manifestation.

Pour les indiens, il n'est pas très important de savoir à quand remonte le sanchita karma, mais surtout d'arrêter d'alimenter ce processus et donc de ne plus générer d'agami karma, c'est ce que l'on appelle l'état anagami (a ou an pour privatif, sans). L'état anagami produit moksha, la libération...

Parmi les différentes techniques pour gérer "avec justesse" le prarabdha karma, on trouve notamment l'attention, la méditation, le karma yoga, la bhakti, tout ce qui va permettre une vigilance discriminatoire (viveka) non mentalisée, c'est à dire non-verbalisée.

Ces différentes techniques, bien que s'appuyant parfois sur des raisonnements très cérébraux ne sont pas compatibles avec l'activité mentale, c'est pourquoi il est important d'être pleinement dans l'instant présent (ce qui est impossible quand on pense avec des mots, puisque pensée = mémoire).

L'Inde ancienne propose une triple voie pour mener à cette Union (yoga) avec l'équilibre total, au delà de l'ego, pour ne pas dire l'incarnation d'un principe plus élevé : le trimarga (jnana marga, bakthi marga et karma marga), qui sont les voies de la connaissance (voir), de l'adoration-dévotion (ouïe, voie du coeur) et de l'action (kinésthésique).

En fait, penser à ne pas penser ne menant à rien, c'est la pratique qui va y mener, et il n'y a pas de pratique si la personne qui pratique n'est pas présente, il n'y a pas le choix. (essayez donc de monter en haut d'une échelle sans être attentif...), et cette pratique ne peut se faire que dans la pensée non-verbale.

Agamipono propose donc d'avoir juste la curiosité de repérer ses prédicats (PAREKSHA), nul besoin de chercher à être dans le présent, ça se fait tout seul, un peu comme à la pêche, et quand le poisson est attrapé, alors on descend au siège de l'émotion, au coeur de la poitrine, lieu de tous les ancrages, athanor du devenir, pour pratiquer agamipono, tout simplement.

LE KARMA YOGA


Si chaque individu est porteur d'une aptitude à récolter ce qui a été semé (tout récolter), si son quotidien n'est que l'actualisation de ce "potentiel événementiel", alors tout ce qui lui arrive n'arrive que parce qu'il l'appelle, inconsciemment.

Alors  que dans la conscience de rêve on crée et le scénario et les objets et personnages, dans la conscience de veille on est aussi le créateur du scénario, mais on utilise les objets et personnages existant de telle sorte qu'ils participent à notre scénario.

Les événement extérieurs à nous sont donc une réponse à notre échéance karmique, et nous sommes entièrement responsables et acteurs de ce qui nous arrive, que nous soyons objectivement actif, ou apparemment passif.

Le karma yoga consiste à observer l'actualisation du karma sous forme de prarabdha karma, (ou pareksha prarabdha karma quand il nous est servi par les autres).

Entendre dans les mots de l'autre l'appel inconscient de notre être à les entendre, la manipulation, la suggestion de notre inconscient envers lui, ou voir dans les événements l'actualisation de notre prarabdha karma, c'est être éveillé à notre responsabilité d'individu (exo-conscience).

Entendre et voir dans la parole de l'autre non pas ses mots mais ceux qu'on lui inspire - le pareksha prarabdha karma - c'est du karma yoga.

Pour compléter ce que nous avons dis plus haut concernant le trimarga (la triple voie) :

  • jnana marga = voie de l'intellect supérieur, de l'absolue connaissance des principes et des causes dans le dépassement de soi,
  • bhakti marga = voie de l'absolu don de soi,
  • karma marga = voie de l'absolue connaissance de l'action dans le dépassement de soi.

Ces trois voies identifiées distinctement peuvent se vivre simultanément, mais surtout, aboutissent pareillement au dépassement de soi, à l'émergence dans une conscience plus vaste que les limites de l'ego conditionné.

LE PAREKSHA PRARABDHA KARMA ou la rétrocession karmique


Le pareksha prarabdha karma, c'est la livraison par autrui (ou par un événement extérieur) de notre sancita karma.

En fait, nous induisons en permanence le comportement des autres à notre égard (ce qui explique d'ailleurs les répétions de situations avec des acteurs pourtant différents).

Observer le pareksha prarabdha karma, c'est conduire sa vie et se donner le moyen d'arrêter la production d'agami karma.

Dans la compréhension active (cum-prendere) du pareksha prarabdha karma,, il y a la possibilité de s'affranchir des limites dues au processus d'individuation et de les transcender. C'est une manière de s'ajuster à son swadharma et à son dharma.

La reconnaissance du pareksha prarabdha karma, en manifestation est un processus qui, associé à agamipono, transforme radicalement la conscience humaine et mène à une libération progressive.

On se rend alors compte que l'Autre n'est que l'actualisation tangible de notre scénario de vie, et réciproquement.

Le supposé échange se joue dans la reconnaissance de croyances similaires qui sont elles-mêmes l'ancrage de nos sanchita karmas respectifs - croyances qui se donnent elles-mêmes une réalité à travers les conditionnements divers et expériences de la vie auxquels nous sommes soumis depuis la naissance.

(NB : il est intéressant de remarquer l'importance des "strokes" dans les travaux d'Eric Berne sur l'Analyse Transactionnelle)

KARMA et PROGRAMMATION


Le karma potentiel (le sanchita karma, celui qui va se manifester) peut être assimilé à une programmation. Quand "arrive" le prarabdha karma, alors le programme se met en marche. Mais comment arrêter ou modifier le programme? C'est aussi une autre façon d'aborder le problème.

En fait il n'y a pas d'action directe possible sur la source du programme, mais comme tout est interdépendant, l'action sur son effet, la production d'agamikarma, peut être un moyen d'accès, d'autant que c'est elle qui entretient et nourrit le processus. Le pareksha prarabdha karma est en fait un contre-karma, d'où l'importance d'être éveillé à son apparition et à ses causes réelles afin de développer l'état anagami.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que l'individuation du principe karmique (karma individuel) n'est qu'une convention sémantique, car l'intrication sujets-objets démontre la pluralité et la coïncidence des éléments constitutifs de cette énergie. En fait le karma est collectif, cosmique même, mais se reflète dans des supports tels que l'individu, la famille, le clan, la nation, etc...

Lorsque je parle de "mon" karma, je devrais aussi parler de ce même karma vu du côté de ceux qui le partagent avec moi, car sans la rencontre du leur, le mien ne serait pas...

D'autre part, il n'est pas concevable de parler de karma individuel indépendamment de celui des autres qui y participent, les termes utilisés ici étant d'ailleurs tout à fait réducteurs et donc d'une certaine façon inexacts, car l'interdépendance étant totale, c'est juste la redistribution des supports et manifestations qui prend des formes différentes.

 

JYOTISH (karmavidya) ou l'astrologie traditionnelle de l'Inde


Interdépendance et analogies fonctionnelles hiérarchiques

Même si certains restent attachés à l'idée d'une l'astrologie prédictive et destinée à berner les naïfs et les croyants, il s'agit en fait d'une approche très fine des processus karmiques à destination des médecins du corps (ayurveda) et de l'âme (gurus).

Du point de vue de la conscience ordinaire, limitée et identitaire, l'endoconscience, les corps célestes bien distincts semblent avoir une influence sur nos destinées, du point de vue de la conscience d'éveil, de l'exosconscience, leur mouvement est le même que le nôtre, il y a seulement un changement d'échelle, et leur observation (par la conscience ordinaire) correllée à l'immense savoir traditionnel mais aussi les ressources de la conscience, permet de faire le pont entre ce pour quoi la conscience individuelle est optimalement conçue et les moyens à sa disposition. Tout simplement...

Il est vraiment très dommage qu'actuellement cette science soit si éloignée de son but et que les vaidyas (médecins ayurvédiques) soient si rares à l'utiliser.

 

NEOCONSCIENCE (voir www.neoconscience.com)


L'intégration de l'Endoconscience et de l'Exoconscience

Pour mieux apprécier l'importance du pareksha prarabdha karma, il est important de pouvoir développer la double conscience - ou néoconscience - endoconscience/exoconscience (endo-conscience, la conscience en soi, le je, qui se définit distinctement de l'Autre, la conscience ordinaire; exo-conscience, la conscience qui est l'Autre, qui peut aussi se confondre  avec une projection du je sur l'Autre, et qui est aussi la manifestation de mon potentiel de devenir dans ce qui est en dehors de mon individualité physique).

Les deux consciences englobent la totalité des possibilités de manifestations karmiques liées à notre individualité, et leur intégration (néoconscience) permet la résorption d'agami karma. Le pareksha prarabdha karma n'est qu'un outil d'observation de l'actualisation karmique au service de la double conscience.

Quand les deux consciences sont en contradiction, en conflit, il y a paradoxe. L'intégration simultanée en une conscience unique débouche sur le métadoxe, une conscience non duelle : c'est la néoconscience.

Dans l'esprit de cette double conscience, ou conscience double, ou néoconscience, on trouvera des illustrations convergentes auprès de J.Krisnamurti (observateur vs observé), dans les darshans traditionnels de l'Inde (dvaïta vs advaïta) dans le Vedanta (jivatman vs atman), dans la symbolique de Janus, ou encore d'une manière plus moderne chez Saussure ou Lacan (signifiant vs signifié), etc...

 

Voir une courte VIDEO à propos du TRIKARMA (en mp4)

 

 

Page suivante >>

 

 Envoyer à un ami 

 

 

 

En collaboration avec les sites

SADHAKA CLUB